20ème Paris-Dakar (du
1er au 18 janvier 1998)
A
deux jours de l’exploit...
(Récit
d'Isabelle Jomini)
A la veille de la 13ème étape, la plus
terrible de ce Dakar - Nema-Tidjikja, 780 km - les discussions vont bon
train
dans le rang des poireaux : le bruit court qu’il y a une possibilité
d’éviter
la spéciale en prenant la route et bien sûr, une tonne de pénalités. En
ce qui
me concerne, il n’en est pas question. Pour l’instant tout se passe
bien, je suis 56ème au classement général, la
moto est super, je suis en pleine forme, donc aucune raison pour que
j’évite
cette spéciale. D’autre part, un Dakar se mérite et pour l’instant je
n’ai pas
encore vécu de grosse galère, alors je suis prête à affronter 2 ou 300
kilomètres de pistes de nuit.
Le début
de la spéciale se déroule sans
problème. Peu avant le kilomètre 200, je rattrape Raymond Loizeaux. Je
roule un
moment avec lui, mais les traces deviennent de moins en moins visibles.
Comme
le prochain point GPS est à 6 kilomètres, par précaution, je décide de
suivre
ce cap en hors piste, laissant partir Raymond sur la gauche. Arrivée au
waypoint, je suis très surprise de constater qu’il n’y a que très peu
de
traces. J’aperçois une voiture au loin, et sans réfléchir, je me lance
à sa
poursuite. Un grand troupeau de chameaux se trouve sur mon chemin et je
dois
ralentir fortement pour les éviter. La voiture a disparu dans un erg et
une
autre est arrêtée, en panne. Comme il n’y a que quelques traces qui
s’engagent
dans ces dunes, je préfère faire demi-tour pour retrouver la piste du
rallye.
Chemin faisant, je rencontre une voiture, conduite par Pescarolo, et 3
motards.
Je les suis. La voiture s’engage dans l’erg et nous, les motards, on la
suit
prudemment. Heureusement, car la voiture s’enfonce dans du sable
complètement
mou et n’en ressortira qu’après de longues heures de pelletage. On
stoppe notre
élan assez rapidement pour arriver à en ressortir sans trop de
problème, en
s’entraidant.
Après un
bref conciliabule, on décide de
revenir sur le fameux point GPS et de suivre le road-book à la lettre.
A force
d’essayer toutes les possibilités, on
se retrouve un petit groupe de 10 motards à chercher désespérément la
bonne
piste. On en vient à la conclusion que le point GPS donné pas
l’organisation est
faux. On perd plus d’une heure avant de rejoindre le tracé du rallye...
Une fois
sur la bonne piste, il faut doubler,
dans la poussière, toutes les voitures, et parfois ça prend beaucoup de
temps.
Je suis folle de rage d’avoir été victime de cette erreur, et fulmine
contre
Patrick Zaniroli qui n’a pas souligné ce changement au briefing. Je
sais déjà
que cette boulette va m’entraîner quelques heures supplémentaires à
rouler de
nuit.
Je
gravis la redoutable passe d’Enji sans
aucun problème.
A
l’approche de l’erg du rocher des Eléphants,
le sable est très mou, mais je prends beaucoup de plaisir à surfer sur
le dos
des dunes. Malheureusement, je tombe une fois et ensuite je ne parviens
plus à
retrouver mon rythme et je retombe 4 ou 5 fois de suite. Heureusement,
mes
copains d’Equip’raid, en voiture, sont là à chaque fois, et m’aident à
relever
ma moto. Pour repartir dans ce sable mou, je suis obligée de solliciter
énormément le moteur et dans la passe caillouteuse qui nous permet de
sortir de
l’erg des Eléphants mon moteur chauffe une première fois. Je m’arrête
pour le
laisser refroidir et rajoute de l’eau dans le radiateur. Ensuite, à
plusieurs
reprises, je sens l’odeur du produit de refroidissement qui chauffe et
j’essaye
d’éviter de forcer sur le moteur.
Le
soleil commence déjà à descendre lorsque je
retrouve mon ami Jeannot Brucy à côté de sa moto, le moteur démonté :
-
Qu’est-ce qui t’arrive?
- J’ai
cassé le joint de culasse et j’attends
mes véhicules d’assistance pour changer le moteur... Ta moto a chauffé
aussi on
dirait ? me demande-t-il en remarquant immédiatement cette odeur
caractéristique.
- Oui,
près du rocher des Eléphants.
Il
contrôle le niveau d’eau et rajoute ce qui
manque. Il me dit de surveiller attentivement ce problème. Je ne
m’attarde pas
et repars en lui souhaitant bonne chance.
A la
tombée de la nuit, alors que je me
dépêche de faire un maximum de kilomètres pendant que je devine encore
où je
vais, je trouve un motard arrêté au bord de la piste. Je m’arrête et
lui
demande quel est son problème. Ne parlant pas français, il me fait
comprendre
qu’il est en panne d’essence. Je veux bien lui en donner, mais il n’a
aucun
récipient pour recevoir le précieux liquide. Heureusement, un véhicule
de la
télévision arrive et nous donne une bouteille en plastique. Cet arrêt
m’énerve,
car j’aurai pu profiter de faire encore quelques kilomètres avant que
la nuit
tombe complètement...
Nous
sommes à une quarantaine de kilomètres du
village de Tichit et il nous reste encore 280 kilomètres à parcourir
pour
arriver à Tidjikja...
Je fais
une pause bien méritée au C.P. 4 et
ravitaillement essence de Tichit, et repars pour une nuit de galère.
Je
m’ensable plusieurs fois, je tombe 10, 20
fois..., mais dans mon malheur, je trouve presque tout le temps
quelqu’un pour
m’aider. Souvent c’est le camion-balai, mais c’est aussi une voiture
Tango ou
une voiture de la télévision.
Je
franchis la ligne d’arrivée, épuisée, à 6
heures du matin. Je ne trouve pas le bivouac, je m’énerve et tout à
coup ma
moto stoppe net... le moteur s’est éteint, plus de lumière. J’actionne
le
bouton de contact à plusieurs reprises : en vain... J’espère que ce
n’est que
le fusible...
Une
voiture Tango arrive peu après et
m’éclaire. Je change le fusible et tout refonctionne normalement... Ouf
!
Lorsque
j’arrive au bivouac, je fais
immédiatement le plein d’essence et ensuite rejoins les camions
d’assistance
KTM. C’est une étape marathon, sans mécanicien avion, mais les camions
sont là.
Heinz Kinigadner, le team manager de KTM, vient tout de suite vers moi
et me
félicite d’être là. Je lui explique les différents problèmes que j’ai
avec la
moto : surchauffe, le dérouleur de mon road-book qui ne fonctionne
plus, ...,
et je vais prendre mon petit déjeuner, sans oublier d’aller tout
d’abord
rassurer tous mes amis de l’équipe Fidélia Assistance.
A 8
heures je repars, en sachant très bien que
ma moto n’a pas pu être réparée...
Tous les
40 km, ou après chaque passage
sablonneux, je m’arrête pour laisser refroidir le moteur et remettre de
l’eau
dans le radiateur. Avant le C.P. 1, au kilomètre 100, nous avons un erg
d’une
dizaine de kilomètres, particulièrement mou, à traverser. Par crainte
de trop
forcer sur le moteur en roulant dans le sable labouré par le passage
des
précédents concurrents, j’essaye de rouler à la limite des traces, mais
malheureusement le sable est trop mou et je m’ensable plusieurs fois...
Giovani
Sala, champion du monde d’enduro, qui a eu des problèmes d’allumage peu
avant,
vient m’aider à me sortir d’une situation fort délicate.
En
sortant de l’erg, la télévision est là
ainsi que ma copine médecin, Chantal. Elle me prend dans ses bras et je
craque... (voir images de la télévision !).
Au C.P.,
je fais une bonne pause et Claude
Arnoux, en buggy, me donne une bonne idée :
« Tu peux essayer de mettre des miettes de
biscuits dans le
radiateur ! ».
En
effet, cette astuce me permettra de faire
plus de 150 kilomètres sans avoir besoin de remettre de l’eau.
A
l’approche du dernier erg, il y a des traces
dans toutes les directions, et toutes reviennent au point de départ...
Je
jardine près d’une heure, parfois seule, parfois avec d’autres
concurrents...
Enfin, avec l’aide d’une voiture T.V., deux autres voitures de course
et un
motard, on tombe par hasard sur la bonne passe. Malheureusement, après
quelques
kilomètres, je chute, et le temps que je relève ma moto, tout ce petit
monde
est déjà très loin et la nuit est tombée. Je me retrouve toute seule,
de nuit,
perdue en plein milieu d’un erg... Je poursuis dans le sable mou, je
m’ensable
constamment, mon moteur chauffe plusieurs fois et finalement je me
« tangue » définitivement. Je creuse, j’utilise ma
veste comme plaque
de désensablage... A trois reprises, je déplace la moto de 50
centimètres, et
elle se rensable... Je suis désespérée. Je ne suis qu’à 1,5 kilomètres
d’un
waypoint donné par l’organisation, au kilomètre 300 de la spéciale, et
je
décide de marcher avec mon GPS jusque là pour chercher de l’aide. Après
quelques centaines de mètres à pied, par miracle, une voiture Tango me
rejoint.
Très volontiers, les deux hommes viennent m’aider. A trois, la moto est
dégagée
très facilement. Je repars en les suppliant de rester derrière moi pour
m’aider.
Au
waypoint où je me dirigeais à pied peu
avant, je retrouve Andréa Mayer, la dernière concurrente féminine moto
encore
en course avec moi, qui attend impatiemment ses véhicules d’assistance,
car
elle a cassé son embrayage.
Je
franchis quelques dunes molles en priant
pour ne pas tomber et ne pas m’ensabler. Je ne vois même pas où je vais
et suis
obligée de forcer sur le moteur pour parvenir aux sommets des dunes.
Par
moments, la voiture Tango me dépasse et je panique. Je tombe une fois,
puis
deux; et soudain, toute l’eau de mon radiateur jaillit. Je laisse
refroidir
quelques minutes et rajoute plus d’un litre d’eau. Déterminée, je
poursuis.
Deux dunes plus loin, l’eau commence déjà à bouillir. J’arrête
immédiatement le
moteur et rajoute un peu d’eau. J’y crois toujours et continue avec
acharnement. Malheureusement, n’ayant qu’une vision très limitée de
l’environnement, je m’engage dans une impasse : devant moi, une dune
infranchissable
et l’impossibilité de faire demi-tour sans élan, avec mon moteur qui
chauffe.
La voiture Tango me rejoint, et je comprends immédiatement que le
conducteur
est à bout de nerfs, ça fait 3 jours que l’équipage ne s’est pas arrêté
à un
bivouac, et il veut poursuivre. Exaspérée, je décide d’attendre un
autre
véhicule pour m’aider.
Une fois
descendue de ma moto, toute la
fatigue accumulée de ces deux derniers jours m’assomme complètement.
J’attends
désespérément une aide qui ne
viendra jamais. Le camion-balai passera 2 jours plus tard (!) et les
véhicules
Tango ou T.V. ont préféré faire un détour pour contourner cet enfer.
Quelques
voitures sont venues s’engouffrer
dans cet entonnoir et à chaque fois elles ont mis plus de 30 minutes
pour en
ressortir.
Les
derniers véhicules à passer sont les
voitures d’assistance BMW. Andréa se trouve à l’intérieur. Elle me
rejoint et
me raconte sa mésaventure pendant que son assitance trouve une solution
pour
sortir de ce piège.
Lorsqu’elle
est tombée en panne, elle a rejoint
le point GPS le plus proche à pied pour attendre son assistance. Quand
ses
véhicules sont enfin arrivés, ils se sont mis à la recherche de sa moto
sans
jamais la retrouver !
Depuis
minuit et demi, aucun véhicule n’a
passé. Cette attente est abominable. Je souffre du froid, car mes
sous-vêtements sont mouillés de sueur et je suis angoissée. Toutefois,
j’espère
toujours le camion-balai, car je ne peux pas croire que je vais
terminer cette
course, si près du but, à 3 kilomètres d’un C.P. et à 20 kilomètres de
l’arrivée !
Au lever
du soleil, je décide de repartir.
Mais simplement en dégageant la moto de l’impasse où je me trouve,
l’eau du
radiateur commence déjà à s’échapper... Je suis obligée de me rendre à
l’évidence : je n’irai pas plus loin avec cette moto...
Vers 10
heures, un hélicoptère survole l’erg.
Je fais des grands signes et heureusement, les occupants m’aperçoivent
et
viennent me secourir.
Ce n’est
qu’une fois à St-Louis, dans
l’après-midi, que je réalise que je viens d’abandonner le Dakar à deux
jours
d’un exploit... Je suis très déçue et j’ai le moral à zéro... Isabelle Retour/zurück / Haut de page / Photos
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